La revue culturelle de l'Université de Lausanne
Rolle Année 22
Victor Portillo
Je voulais partir de cet entretien sur YouTube « Duras – Godard » (1987). Je me sens toujours infiniment bien lorsque je les écoute parler. Duras charge et Godard semble désemparé. Mais sans doute n’est-ce que pour faire plaisir à Marguerite.
Je suis passé devant chez lui cet après-midi. On y avait déposé des fleurs, des tournesols je crois. Juste à l’endroit où Agnès Varda pleure à la fin de Visages Villages (2017). Je ne peux pas m’empêcher d’y penser à chaque fois. Je lui en veux encore de ne pas lui avoir ouvert.
J’ai tourné la tête à droite et j’ai vu une rue avec des arbres. C’est celle de Sauve qui peut (la vie) (1980). C’est aussi celle que j’empruntais tous les matins pour me rendre à l’école. À vingt-cinq ans près, j’aurais pu y croiser Isabelle Huppert. Je n’en reviens pas de cette occasion manquée. J’espère qu’elle a aimé la région, Mme Huppert. C’était en 1980, donc. Trois ans plus tard sortait Prénom Carmen (1983). Ma grand- mère s’appelle Carmen.
Godard ne m’apparaît que dans les liens qui se font grâce à lui, mais sans lui. Dans les images qui sans cesse en appellent d’autres. Il n’est lui-même aucune de ces images. Il est le passage entre elles. On ne peut pas s’arrêter trop longtemps sur lui, donc. Sinon tout est fini. Comme Capri, oui.
Je n’ai jamais lu Cruzio Malaparte. Mais j’aime bien, dans l’ordre : son nom de famille, sa villa, son prénom. Je retombe sur une histoire de prénom. Certainement parce que j’ai sous les yeux ce film qui ne parle pas de ma grand-mère. Je ne l’avais encore jamais vu. Il m’en reste beaucoup d’autres. J’ignorais qu’il a joué dedans. Ça me fait plaisir de le voir. Il me donne tout de suite envie de rire avec ses airs de clown.
Un peu comme Jacques Tati. D’ailleurs Godard interprète l’oncle de Carmen. Voilà ce que j’appelle un hommage, on ne fait pas mieux que ça. « Tati », c’est presque comme « taxi ». Un lien ténu qui mène à cette anecdote : je connais le chauffeur de taxi dans Adieu au langage (2014). C’est un ami de mon père. Un vrai chauffeur de taxi. Il n’a pas beaucoup apprécié le film, il me semble. Mais comme Scorsese n’avait manifestement pas pensé à lui pour son film sur le trafic new-yorkais, il ne lui restait que ça.
Jusqu’au bout, on pouvait voir Godard au volant de sa voiture circuler dans les rues de Rolle, malgré les travaux et les déviations. C’est infernal, un bruit incessant terrible. Quelqu’un sait ce que Belmondo dit dans À bout de souffle (1960) quand le vacarme de la rue recouvre sa voix ?
Il y avait un autre lien à faire, trois phrases plus haut. New York Herald Tribune, bien sûr ! Ça nous aurait peut-être menés à Jean Seberg, et puis Romain Gary. Peu importe. Ça ne fait rien si on a choisi une autre trajectoire.
Godard c’est du cinéma. Et quand on parle de cinéma, on parle de tout. C’est lui- même qui le dit. Si tous les chemins mènent à Rome, ce sont les Romains qui sont chanceux, puisqu’ils peuvent aller où ils veulent. Rien ne se met en travers de la route du cinéma. Les voies de Godard sont impénétrables. Il est partout, tout le temps, en moi et aussi dans tout ce que je vois. Il se trouve forcément quelque chose pour me ramener à lui. Mon imaginaire lui appartient. Godard a réussi. Il est devenu immortel. Puis il est mort.