La revue culturelle de l'Université de Lausanne
Marie Jay, portrait d'une artiste en fleur
Marjorie Besse
Par Marjorie Besse
À la croisée de la pop et de la variété, Marie Jay fait rimer ambiance joviale et errances adolescentes. Romanesque, elle révèle la tendre poésie de la jeunesse, nichée dans les recoins d’une fête crépusculaire ou d’un voyage en solitaire. En pleine préparation de son premier EP, l’autrice-compositrice-interprète nous parle de son univers et des couleurs qu’elle lui donne. Tour d’horizon d’une artiste complète et lumineuse.
C’est grâce au cadeau de Noël de sa grand-mère que Marie est tombée dans le chaudron de la musique, un peu par hasard, un peu sans s’y attendre. L’objet à l’origine de sa passion : une guitare rouge vif, posée dans un coin de son local à musique, « avec un très mauvais son car elle a coûté 150 francs ». Mais ce n’est pas tout d’avoir un instrument dans les mains, encore faut-il savoir s’en servir. Marie s’inscrit donc à des cours sobrement intitulés « guitare-chant ». Là, elle se met à chanter sur les morceaux qu’on lui apprend. De fil en aiguille, elle se familiarise avec l’écriture et la composition. Bientôt Marie Jallut se fait appeler « Marie Jay ».
Loin encore des concerts et des festivals, elle s’initie à la scène par la pratique du théâtre. En 2019, dans le cadre de son travail de maturité, elle écrit et met en scène une comédie musicale, Nos Meilleures Années. Le spectacle porte sur les errances identitaires de Margaux, gymnasienne tourmentée, interprétée par Marie elle-même – toute ressemblance avec la réalité ne saurait être fortuite. Au sortir de cette expérience, l’artiste en herbe s’est donc familiarisée avec la mise en scène, le jeu et la direction d’acteur·ice. Mais un tel projet a surtout exigé l’écriture et la composition de multiples chansons. Dans ce dernier exercice, Marie a pu s’épanouir et progresser un peu plus sur le chemin de la musique. Elle projette même de réitérer cette première expérience des planches, intéressée à œuvrer pour d’autres spectacles musicaux. Car au fond, concert, pièce de théâtre ou autre, peu lui importe. L’autrice-compositrice compte bien maintenir dans sa vie un lien avec l’espace de la scène, quoi qu’il en coûte.
« La magie a opéré quand j’ai pu écrire quelque chose »
À tout juste vingt-deux ans, Marie Jay cumule les casquettes de compositrice et d’interprète. Mais s’il y a une étape de création qu’elle affectionne tout particulièrement, c’est bien celle de l’écriture. Cœur battant de son identité, le texte rythme et module sa musique. À chaque refrain mélodieux son couplet slamé. Flirtant parfois avec le rap, Marie Jay aime jouer avec les mots et leurs aspérités. Elle voit dans le genre du slam un vaste potentiel de narration et de poésie. Il s’agit aussi, avoue-t-elle un sourire en coin, d’une façon dissimulée de « raconter plus de choses » sur les quelques minutes qu’autorise le format d’une chanson. Rien d’étonnant que la chanteuse compte parmi les fans de l’artiste Ben Mazué.
À la base de son processus créatif, une idée, un « paradoxe » qui la taraude et qu’elle souhaite traiter. Ensuite, elle définit une « ambiance musicale » – une suite d’accords esquissant l’atmosphère de la future chanson. Vient enfin le moment de l’écriture. Ses expériences personnelles offrent la matière première de son texte. Telle une conteuse d’histoire, elle se plaît à inventer des personnages qui parlent pour elle. À travers elle·eux, la jeune interprète raconte ses propres impressions, entrelaçant vécu et sensations. Une forme d’écriture qu’elle dit tirer de Sex Education, une série qui fragmente en plusieurs épisodes les histoires de protagonistes attachants, auxquels il est facile de s’identifier. Avec sa galerie de personnages fantasques, l’univers éclatant et juvénile de Sex Education a imprimé de sa griffe l’esthétique de Marie Jay. Les chansons de cette dernière sont tout autant de micro-récits qu’elle souhaite rendre accessible à tous·tes.
Se perdre pour mieux se trouver
En 2020, une maturité fédérale en poche, Marie Jay pousse les portes de la BIMM Music Institute – une école de musique londonienne qu’elle fréquente pendant une année entière. À la clef de ce nouveau programme figure un diplôme de composition (qu’elle obtiendra sans difficulté). La capitale anglaise, véritable repère artistique en effervescence, marque un tournant dans la constitution de l’identité musicale de la chanteuse. Elle raconte que ce ne sont pas seulement les cours dispensés à la BIMM, aussi qualitatifs soient-ils, qui la font grandir. C’est d’abord l’expérience, toute nouvelle, d’une liberté sans limite. Liberté de déambuler seule dans une ville étrangère. Seule, vraiment ? Pas tout à fait, car Marie fait aussi des rencontres. Entre deux cours de songwriting, elle sympathise avec Jack Fosberry, un camarade de classe. Tous deux appréhendent la musique de manière différente, « mais finalement assez complémentaire », et allient leurs forces pour écrire et composer ensemble. En émerge une chanson intitulée Minuit Dehors. Aujourd’hui, Marie Jay la joue sur scène, en souvenir de ce duo.
Séjour à Londres oblige, elle s’essaie à l’écriture en anglais. Elle se frotte ainsi à une langue moins familière, dont les sonorités lui sont inconfortables. Au fil des tentatives, le constat s’impose : c’est en français qu’elle veut chanter. La cadence, la rythmique, la forme des mots, elle ne les retrouve nulle part ailleurs que dans sa langue maternelle. D’ailleurs, un coup d’œil dans sa playlist suffit pour saisir son admiration des tendances francophones. De Pomme à Emma Peters, en passant par Voyou, Marie Jay s’inspire d’artistes pop qui placent au centre de leur travail la résonance du texte.
Dory : entre espoir et mélancolie
Sur les plateformes, la chanteuse de vingt-deux ans brille déjà par son tout premier single, Dory, écrit et composé par ses soins. Elle avait déjà pu faire entendre sa voix sur TROP TARD, sorti quelques mois plus tôt et réalisé en tandem avec le beatmaker Yakary. Dory marque officiellement le lancement de sa trajectoire solo.
Publiée en octobre 2022, cette dernière chanson en date se fraie un joli petit bout de chemin. Fort de quelques passages en radio, Dory comptabilise un nombre d’écoutes prometteur pour la suite. Sa mélodie entêtante mêle les doux accords d’une guitare au rythme aérien des percussions. Tandis que les refrains laissent rêveur, les couplets tissent une histoire plus précise.
« Tu restes une étoile dans mon paysage mental » (paroles de Dory, 2022)
« C’est un peu une lettre à une personne qui serait sortie de notre vie », dévoile Marie Jay à propos de cette création. On retrouve entre les lignes les thèmes qui sont chers à leur autrice : émois adolescents, fureur de vivre, recherche d’identité… tout ceci s’articulant autour d’un voyage qui aurait éloigné le sujet de son destinataire. Les paroles auraient aussi bien pu se retrouver sur une carte postale, parvenue d’un ailleurs lointain. À l’écoute, on se figure volontiers une globetrotteuse, un brin nostalgique, dont le périple cache une quête de soi plus profonde. Au détour d’un itinéraire, elle écrit à une connaissance qu’elle n’a pas oubliée. « Je voulais juste te donner des nouvelles de moi », achève-t-elle, espérant ne pas être oubliée en retour.
Cette chanson n’est-elle que fiction et fantaisie ? Loin de là. À travers ses personnages, Marie Jay se raconte elle-même. Dory, c’est aussi son passeport d’artiste. Aperçu de sa personnalité ; mise au point de sa situation personnelle ; instant immortalisé dans la vie d’une chanteuse en devenir. D’ailleurs, cette dernière confie s’être sentie très alignée avec la chanson au moment de sa sortie, prête à défendre le fruit de plusieurs mois de travail et de sueur. Au carrefour d’une carrière naissante, voilà qu’elle doit choisir une route plutôt qu’une autre. Privilégier une direction, donc exclure le reste des possibilités. C’est sur la voie de la pop francophone qu’elle s’engage. À l’issue de ces trois minutes, on voit se préciser l’identité de l’interprète : un portrait haut en couleur et en fraîcheur, au dos d’une carte postale.
Des murs du studio aux planches de la scène
Été 2023, alors que les vacances s’annoncent, le calendrier de Marie Jay est saturé de dates de concerts. Le band qui l’accompagne a sillonné les festivals suisses durant toute la période estivale. On compte Yakary à la batterie, Yoann Maeder à la guitare et, dernière arrivée, Betty Patural au clavier. Un équipage solide, motivé, dont les membres sont « tous touchés par le projet ». Marie s’assure en effet que ses musiciens adhèrent à ce qu’elle propose avant de les faire monter à bord du navire. Elle a pourtant mené de front plusieurs dates en solo, avec pour seuls compagnons de scène, sa guitare et sa voix. Mais cette configuration devrait rester de l’ordre de l’exception. « Ma musique est décuplée quand on lui donne vie avec le groupe complet », explique-t-elle. Donc, priorité au band. D’autant plus qu’elle cherche à éloigner sa musique de l’acoustique pour l’amener vers quelque chose de plus pop – une ambition davantage réalisable avec des musicien·nes en soutien.
« Je vis vraiment les concerts comme un échange. C’est un moment de partage »
De cette pérégrination estivale, deux expériences scéniques se démarquent. D’abord, Les Francomanias, ode à la musique en français. Sur la grande scène de Bulle, elle était à l’affiche de la programmation principale. Une première pour celle qui avait jusque-là occupé la liste des « découvertes ». Ensuite, la manifestation en faveur du climat, sous un soleil de plomb, à Berne. Ce jour-là, l’équipe se lance dans les répétitions, tête la première, sans trop réaliser l’ampleur de l’événement. Quelques heures plus tard, dix mille personnes prennent possession de la place fédérale. L’adrénaline aidant, Marie assure le concert. L’occasion de faire connaissance avec le public alémanique, enjoué et bienveillant.
L’interprète de Dory confie adorer la scène, et « détester le studio ». Un exercice fastidieux selon elle, une quête impossible de la perfection. À l’inverse, l’expérience de la scène lui semble bien plus naturelle. C’est là qu’elle peut délivrer ses histoires, que sa musique prend tout son sens. Souvent, elle se produit face à une assemblée qui la découvre pour la première fois, au hasard d’un festival. Chaque concert prend alors des allures de présentation de soi, confidences personnelles à un parterre d’inconnus. Mais la tendance commence à se renverser. Marie remarque un nombre grandissant de spectateur·ices qui viennent pour elle, fredonnant parfois les paroles de Dory. Sentir sa musique résonner, voir un certain public se dessiner, voilà une sensation « très agréable », révèle la chanteuse.
Premier projet bientôt sur pied
À l’heure actuelle, Marie Jay peaufine son tout premier EP, à savourer courant 2024 (le mystère plane encore sur la date de sortie). L’année s’annonce chargée en événements en tous genres. Quelques singles sont prévus, dont la sortie au compte-goutte devrait satisfaire les plus impatient·e·s. Plusieurs résidences dans des salles de concert sont également agendées. Objectif : construire un show en béton pour la tournée des festivals.
Des projets se profilent donc à court et moyen terme. Qu’en est-il de la suite ? À la question fatidique « Où te vois-tu dans dix ans ? », Marie Jay répond : « Là où l’écriture me portera ». Celle-ci se projette aussi bien sur scène que dans une grande maison, entourée d’ami·es, de livres et de poules, détaille-t-elle non sans une pointe d’humour. Mais ce qui est certain, c’est que sa plume ne sera jamais très loin d’elle. Peut-être au service de formats différents. Écrire des scénarios, des spectacles, écrire quoi qu’il en soit. Polyvalente, la jeune artiste compte en premier lieu faire grandir son projet musical, et laisse la porte ouverte aux opportunités de tous bords. On lui souhaite une bonne réception de son futur EP ; puisse-t-il embarquer l’auditeur·ice dans le monde fleuri et généreux de sa créatrice.
Ta musique en trois mots ?
Sincère, chou et colorée.
Tes inspirations ?
Ben Mazué, Voyou, Pomme et Emma Peters.
Tes coups de cœur du moment ?
Disiz, Upsahl, Gayle, The Beaches.