top of page
< Back

Maman Danse, un court-métrage qui explore les effets des violences conjugales, par une jeune réalisatrice suisse

Fanny Cheseaux, Thibault Ramet

Maman Danse, un court-métrage qui explore les effets des violences conjugales, par une jeune réalisatrice suisse

Bonjour Mégane. Comment t’est venue l’idée de faire un documentaire sur ta mère ?


Pour mon film de deuxième année à l’ECAL, j’ai travaillé avec ma sœur – qui est ma sœur de cœur, enfin la fille de l’homme dont je parle dans mon film – et on a abordé le sujet de l’inceste qu’elle a subi quand elle était plus jeune. On est donc revenu à Thierrens, où on a grandi en partie. On a décidé de retourner voir la maison dans laquelle on a grandi et on a découvert qu’elle était abandonnée, enfin qu’elle n’avait jamais été réhabitée. Depuis, ça m’a un peu trotté dans la tête. Ça fait longtemps que j’ai envie de parler de ma mère. À la base, je voulais parler de la solitude des femmes divorcées, qui n’ont pas d’enfants et qui habitent seules. Et je savais que ma maman était en dépression, mais c’était un sujet tabou et je n’ai jamais su pourquoi. Et en voulant traiter de la solitude, en discutant avec ma mère de sa dépression et de l’inceste que ma sœur avait subi, ma mère m’a plus expliqué la relation qu’elle avait avec ce mec, j’ai mieux compris l’ampleur des violences. C’est toute une dynamique de violence, avec des hommes comme ça, en fait, tu ne fréquentes plus que les amis de cet homme et quand vous vous quittez, tu n’as plus personne. C’est hyper lourd. Et j’ai eu cette envie de faire justice à ma mère.


Comment as-tu réussi à naviguer entre ton rôle de réalisatrice et de fille pendant le tournage ? Est-ce que la caméra induit une distance ou au contraire permet de créer une forme de rapprochement avec ta mère ?


C’est compliqué car je trouve ça dur de raconter une histoire qui à la fois est la tienne et pas la tienne du tout. J’étais petite quand ces violences sont arrivées et j’ai très peu de souvenirs. Son histoire lui appartient, donc je n’ai pas envie de parler à sa place. J’ai beaucoup pensé à des démarches comme celle d’Édouard Louis par exemple. Contrairement à ses travaux, c’était important pour moi de ne pas rentrer dans un discours qui instrumentalise la souffrance vécue par ma mère. Lorsqu’on utilise l’histoire de sa famille pour illustrer des questions sociales et politiques, c’est important de se poser la question de la simplification de leurs réalités complexes, surtout en court-métrage (puisque c’est un format qui ne peut généralement accueillir qu’une infime partie du récit). Pour moi, c’était devenu une évidence que ma mère devait avoir une parole omniprésente dans le film. Donc on a énormément discuté avant de filmer, pour qu’elle se blinde aussi. Mais je me suis aussi rendu compte d’un truc très beau : pendant toute la partie d’écriture, j’étais persuadée qu’elle était hyper fragile, et j’avais peur de la briser. Mais en faisant ce film, j’ai réalisé que c’était plutôt moi qui étais à vif. Elle, ça faisait vingt ans qu’elle avait vécu ces violences et elle avait déjà fait un travail sur le sujet. Elle me disait, mais je suis complètement ok d’en parler, il n’y a pas de souci. Il y avait des choses dont elle ne voulait pas parler, notamment des souvenirs qui ne la mettaient pas en valeur, comme le fait qu’elle a répercuté certaines violences sur moi. Elle m’a dit, mais je n’ai pas envie qu’on me voie comme une femme violente. Je lui ai expliqué que c’était un mécanisme, que les violences qu’elle a vécues ont engendré cette éducation, et pour moi, c’était important de ne pas rendre la chose manichéenne. Car ces violences font des victimes collatérales. C’était un gros travail, qui de plus était condensé entre cinq et six mois d’écriture. C’était un peu une thérapie familiale sous forme de film de diplôme (rire).


Tu évoques le terme thérapie. Selon toi, y’a-t-il quelque chose de réparateur dans le fait de faire un tel film ?


En vrai, je ne dirais pas que c’est thérapeutique, mais je dirais que ça m’a fait comprendre des mécanismes et surtout comprendre ma mère. Ca ne sera jamais thérapeutique car ces violences ont existé, et continue d’exister. Mais la question ne réside pas là-dedans, j’ai plutôt l’impression que ça fait du bien d’en parler à des gens qui ont aussi vécu ça et d’ouvrir la parole sur ces sujets. Je crois que j’ai juste besoin de partager. Par exemple à la première à Locarno, des gens sont venus vers moi, ont partagé leur vécu avec moi, m’ont dit merci. Ça m’a touché, car il y a aussi des mecs qui sont venus me dire qu’ils avaient aussi vécu des violences, qui ont partagé leurs récits. Ce que j’ai envie de donner, c’est juste de pouvoir mettre en lumière des complexités, et se dire “ok, on peut tous en parler et c’est important d’en parler”. Je n’ai pas la prétention d’apporter des réponses, car je ne pense pas qu’il y en ait face à ce genre de situation.


Un des fils rouges du film est la danse country, qui est une activité que ta mère appréciait énormément. Est-ce que tu peux développer ?


La danse country pour ma mère, ça a un statut assez étrange, à la fois une libération et une forme de tristesse, car c’était le seul endroit où elle pouvait se faire des amis et des connaissances mais elle n’y arrivait pas trop. Si j’ai choisi de parler de la danse, c’est que j’avais une volonté de la faire exister autrement que par les violences qu’elle avait vécues et de lui dire : tu peux danser si tu as envie de redanser. Je n’avais pas envie qu’à la fin du film, on en reste sur les violences. La danse, c’était aussi une manière pour nous de renouer le lien. Dans la scène finale, on nous voit danser dans un gymnase : ça m’a trop ému sur le coup. Je lui ai demandé de m’apprendre des pas, elle m’a appris de la Line dance, les pas de la Madison, qui sont faciles car je ne sais pas danser. Et ce qui est beau, c’est qu’elle m’a envoyé des vidéos d’elle qui dansait et je me suis rendu compte qu’elle savait très bien danser, et qu’elle n’avait rien oublié. Elle était très heureuse de refaire ça avec moi.



Quelle a été sa réaction au visionnage du film ?


Elle a beaucoup ri à plein de moments où il ne fallait pas rire. J’adore ma mère, je comprends qu’elle se protège un peu. Elle a beaucoup aimé le film et l’a trouvé très juste, même si à la fin du film, elle m’a dit : « bah ça va, c’est pas si violent. J’ai vécu vachement pire et tu m’as beaucoup protégée, il fallait pas. » C’est peut-être le gros problème du film, peut-être que je la protège trop. Mais à nouveau, je raconte l’histoire d’une autre personne et malgré le fait qu’on en ait beaucoup parlé, je raconte dans tous les cas l’histoire de quelqu’un d’autre.


Qu’est-ce que ça faisait de filmer dans cette maison abandonnée, qui a été la vôtre à un moment ?


En fait, tout part de la question du souvenir. Comme je l’ai dit, j’avais moi très peu de souvenirs, parce que la mémoire traumatique efface les souvenirs. Donc c’est venu comme une évidence pour moi de placer chaque souvenir dans des pièces de la maison, de concrétiser ce qui s’est passé car je crois que lorsqu’on se remémore des violences vécues, il y a toujours une part de toi qui ne veut pas se croire soi-même. De se dire qu’on est en train d’exagérer… De revenir dans la maison avec ma sœur qui elle avait des souvenirs, pouvait me parler de ce qu’elle a vécu et ressenti, ça m’a fait me rendre compte que je n’étais pas en train de fabuler. On a décidé de garder les pièces vides et d’écarter le premier travail qu’on avait fait sur le son, car on s’est rendu compte qu’on était sur un recueil de témoignages et qu’il n’y avait pas besoin de plus de mise en scène. Je trouvais assez beau qu’on puisse s’imaginer les ombres, les pièces, comment elles étaient meublées. Où était le lit ? Le canapé ? A quel endroit cela s’est-il passé ?


D’un point de vue formel, il y a des choses très intéressantes dans le film comme l’utilisation d’images de Google Maps ou de photographies d’archives familiales pour certains plans. Peux-tu nous parler de la conception esthétique des plans et pourquoi y avoir incorporé des éléments numériques ?


L’utilisation d’archives et d’images Google Maps permettait selon moi de montrer que ça pouvait se passer un peu n’importe où. Ce genre de violence peut se passer dans n’importe quelle maison familiale, et ça ne se remarque pas. Les statistiques sont hyper alarmantes : pour 2023, 11 479 personnes lésées ont été enregistrées par la police, dont 70,1% de sexe féminin, des chiffres qui sont assez similaires à ceux de 2022. Et puis, il faut savoir que toutes les archives que je mets dans le film sont soit avant ou après que ma mère soit sortie avec cet homme, car il a brûlé toutes les photos de la période, sauf cette photo de moi dans la salle de bain, que je juxtapose avec l’image de la salle de bain abandonnée aujourd’hui. C’est très fort, car à travers cela, c’est comme si je refaisais exister ce passé qui a complètement été effacé par cet homme.


Cette année à Locarno avec BoulevArt, nous traitons du thème ‘récits de famille’ dans le cinéma. Est-ce que c’est un thème qui te touche particulièrement dans les films que tu regardes, dans le cinéma que tu aimes ?


Plus encore que les récits de famille, les portraits m’intéressent beaucoup. C’est quelque chose que je retrouve moins en fiction, les portraits de personnes qui sont à la marge, qui ne peuvent pas forcément parler de leur vécu. J’adore les films d’Alice Diop, autrices française de films documentaires de société, pour ça par exemple. Je trouve qu’il y a vraiment quelque chose de fort dans la parole qu’elle donne aux personnes marginalisées. Pour moi, chaque histoire vaut la peine d’être racontée et visibilisée. J’aime les films qui parlent de toutes les complexités du vécu d’une personne, notamment dans le docu fiction. Et parler de famille, il y a quelque chose de très beau, car souvent la famille fournit des archives, des extraits de texte, des photographies…


Ton projet de diplôme a été diffusé à Locarno – un grand pas. Quels sont tes projets suivants ?


Je vais laisser ma famille tranquille pour le moment (rires). J’ai vraiment filmé ma sœur, ma mère, mon père, ils y sont tous passés. Maintenant, l’idée serait de co-réaliser un documentaire avec ma sœur, plusieurs portraits autour de l’idée de faire famille. J’aimerais parler de la communauté queer, pas forcément en Suisse, faire des liens, faire un documentaire sur deux-trois ans avec des suivis. On a envie de s’orienter vers les personnes queer car nous on l’est, et c’est des personnes qui subissent souvent des violences notamment familiales. On aimerait se demander comment on en arrive là, et comment on recrée une famille, un foyer quand il y a eu des violences dans l’intime, dans la famille. Pour l’instant, on n’a rien écrit mais c’est le projet !





bottom of page