La revue culturelle de l'Université de Lausanne
Chemokine, entendu au Pointu
Fanny Cheseaux
Le ton des illustrations de Chemokine est ironique, parfois sardonique. On rigole beaucoup en faisant défiler ses dessins, avec le plaisir de voir s’étaler sous nos yeux ce que les habitant·e·s de la région disent quand iels pensent que personne ne les entend. Pour donner un exemple, on peut citer l’illustration d’une jeune femme au manteau orange qui dit : « Ouchy, c’est moche, démodé et plein de vieux ! », ou encore de cette personne portant une marinière qui s’exclame : « Il devrait aller chez le psy, plutôt que de se tatouer ses névroses sur son corps », entendue à Tibits.
Pour Adrien, l’inspiration est à tous les coins de rue : il garde l’œil et les oreilles ouvertes pour glaner ces phrases qui l'interpellent dans les conversations. Nous nous rencontrons autour d’un café au Pointu, où il a déjà eu l’occasion d’exposer ses dessins. Je lui demande comment il procède pour relever les phrases et visages qu’il représente : « Je les entends dans la rue. Parfois, elles passent inaperçues dans le discours mais quand tu les isoles, elles font tout un effet ! »
Adrien, qui vient de Paris, a commencé en faisant des petites illustrations de choses qu’il trouvait interpellantes et drôles en Suisse, comme lorsqu’il a swipé sur le Tinder suisse et qu’il y a remarqué que tout le monde a une photo de randonnée sur son profil… Il aime noter les différences entre la Suisse et sa ville d’origine. Par exemple, il me raconte : « J’ai été très étonné par le jour de lessive ! À Paris, personne n’annulerait jamais sa soirée pour son jour de lessive. » Ayant habité à Bâle, il a aussi remarqué que l’humour suisse allemand était extrêmement sardonique. Il relève : « Les Suisse·esses vannent beaucoup entre les cantons et que ça reste assez méchant, mais bien accepté dans le pays. » Peut-être que c’est cette prise de distance comparative qui lui permet de représenter si justement, avec son ton ironique, le microcosme suisse romand et ses particularités ?
Adrien raconte qu’il désire aussi avoir une visée politique. Il m’explique : « En isolant les phrases et en représentant certains types de personnes, j’aimerais qu’ils·elles se rendent compte de l’absurdité de certains de leurs propos. Par exemple, je discutais une fois avec un gars après le mouvement #MeToo qui m’a dit : “Trois de exs m’ont dit que j’étais un harceleur, alors que c’est faux, c’est elles qui sont hypersensibles…” » Nous rigolons de cette auto-dénonciation.
Pour cette septième édition de BoulevArt, nous avons demandé à Chemokine de nous concocter six illustrations avec une petite contrainte : quid du « Entendu à l’UNIL » ? Attention, personne n’en ressortira indemne !